Oncologie |
DOI: 10.32604/oncologie.2022.021490
REVIEW
Leucémie à Tricholeucocytes et Autres Proliférations à Cellules Chevelues: Diagnostic et Traitement
Hairy Cell Leukemia and HCL-Like Disorders: Diagnosis and Treatment
Hématologie, CHU Côte de Nacre, Caen Cedex, 14033, France
*Corresponding Author: Xavier Troussard. Email: troussard-x@chu-caen.fr
Received: 17 January 2022; Accepted: 04 March 2022
Résumé: La leucémie à tricholeucocytes (LT) représente 2% de l’ensemble des leucémies. Le diagnostic repose sur la présence dans le sang et/ou la moelle de tricholeucocytes: cellules lymphoïdes B au cytoplasme chevelu exprimant le CD103, CD123, CD11c et CD25. La mutation BRAFV600E, marqueur moléculaire de la maladie, est présente dans plus de 80% des cas. La LT doit être distinguée des autres syndromes lymphoprolifératifs chroniques B, notamment des autres proliférations à cellules chevelues, forme variante de la leucémie à tricholeucocytes (LT-V) et lymphome splénique diffus de la pulpe rouge (LSDPR). Des progrès thérapeutiques ont été récemment réalisés. Les analogues des purines (PNAs) en monothérapie: désoxycoformycine (DCF) ou 2-chloro-désoxyadénosine (CDA), restent le traitement de référence de la première ligne. Ils peuvent être associés aux anticorps monoclonaux anti-CD20 (rituximab, obinutuzumab) dès la première ligne, l’immunochimiothérapie permettant l’obtention de rémissions complètes (RC) prolongées. Chez les patients avec une maladie en rechute/réfractaire (R/R), de nouvelles options thérapeutiques ont émergé: immunotoxines, inhibiteurs de BRAF (BRAFi) ou de BTK. Ces traitements sont à discuter en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Chez les patients avec une LT-V, l’immunochimiothérapie est maintenant le traitement de référence en première ligne. Dans tous les cas, la surveillance hématologique prolongée est nécessaire, en raison du risque augmenté de cancer secondaire et notamment celui d’hémopathie maligne.
Abstract: Hairy cell leukemia (LT) accounts for 2% of all leukemias. The diagnosis is based on the presence in the blood and/or the marrow of hairy cells expressing CD103, CD123, CD11c and CD25. The BRAFV600E mutation, a molecular marker of the disease, is present in more than 80% of cases. LT should be distinguished from other chronic B-cell lymphoproliferative disorders, including the variant form of hairy cell leukemia (HCL-V) and diffuse splenic red pulp lymphoma (DSRPL). Progress has recently been made in the management of patients. The purine analogues (PNAs) in monotherapy, deoxycoformycin (DCF) or 2-chloro-deoxyadenosine (CDA), remain the first-line reference treatment. PNAs can be associated with anti-CD20 monoclonal antibodies (rituximab, obinutuzumab) and are now being introduced from the first line, with immunochemotherapy making it possible to obtain prolonged complete remissions (CR). In patients with relapsed/refractory (R/R) hairy cell leukemia, new therapeutic options emerged: immunotoxins, BRAF (BRAFi) or BTK inhibitors. The different options have to be discussed in a multidisciplinary consultation meeting. In patients with HCL-V, immunochemotherapy is the first-line standard of treatment. In all cases, prolonged haematological monitoring is necessary, because of the increased risk of secondary cancer, particularly the risk of hematologic malignancies.
Mots-clés: Leucémie à tricholeucocytes; HCL, mutation BRAFV600E; forme variante de la leucémie à; tricholeucocytes; lymphome diffus de la pulpe rouge de la rate; Analogues des purines; Anticorps monoclonaux anti-CD20; Immunotoxines; Inhibiteurs de BRAF
Keywords: Hairy cell leukemia; HCL; BRAFV600E mutation; variant form of hairy cell leukemia; splenic diffuse red pulp lymphoma; Purine nucleoside analogs; anti-CD20 monoclonal antibodies; immunotoxins; BRAF inhibitors
Parmi les hémopathies lymphoïdes B matures de la classification WHO 2008 des tumeurs hématopoïétiques et des tissus lymphoïdes, nous étudierons dans cet article les proliférations à cellules chevelues. Elles comprennent: 1) deux entités reconnues: la leucémie à tricholeucocytes (LT) et le lymphome splénique de la zone marginale (LSZM) avec cellules villeuses circulantes, 2) deux entités provisoires classées dans les lymphomes/leucémies spléniques inclassables; la forme variante de la LT (LT-V) et le lymphome diffus de la pulpe rouge de la rate (LDPRR). Le pronostic de ces hémopathies malignes s’est amélioré ces dernières années avec notamment l’introduction de nouvelles drogues, qui ont modifié le traitement de ces maladies.
2 Leucémie à Tricholeucocytes (LT)
La leucémie à tricholeucocytes (LT) appelée aussi HCL (Hairy Cell Leukemia) représente moins de 1% de l’ensemble des hémopathies malignes (HM) et 2% de l’ensemble des leucémies [1–4]. Le nombre de cas incidents est de 1,500 en Europe [5], 300 en France [4] et de 1,100 aux Etats-Unis [6]. L’âge médian au diagnostic est de 63 ans chez l’homme et de 59 ans chez la femme. Dans huit cas sur dix, c’est l’homme qui est atteint. Le taux d’incidence standardisé ajusté sur la population mondiale reste stable en France: il est de 0, 39/100,000 personnes-années chez l’homme et 0, 09 chez la femme [4]. La survie nette standardisée est de 95% à 5 ans, 97% à 40 ans et 92% à 80 ans. Elle s’améliore avec le temps en Europe et aux Etats-Unis [7,8] pour être à 5 ans superposable à celle de la population générale [9]. La cause de la LT reste inconnue. Des formes familiales sont observées [10–12] et plusieurs variants génétiques non récurrents ont pu être identifiés [13]. Les études suédoises ont montré un risque plus élevé de LT chez les membres de la famille de patients atteints de leucémie lymphoïde chronique (LLC) [14]. Le métier d’agriculteur (culture de fourrage, expositions aux insecticides organophosphorés) [15–17] pourrait constituer un facteur de risque professionnel ainsi qu’une exposition au benzène [18]. Un lien négatif avec la consommation de tabac a été démontré. L’incidence de la maladie est plus basse chez les afro-américains [6,19] et la survie inférieure à celle observée chez les Blancs [20]. La LT peut être associée à de nombreuses autres HM, notamment à d’autres lymphomes non-hodgkiniens à petites cellules ou à la LLC [21,22].
2.2 Le Diagnostic Repose sur Trois Examens
Les circonstances du diagnostic sont très variées. Une splénomégalie sans adénopathies superficielles, des infections bactériennes, une tuberculose [23], de la fièvre peuvent révéler la maladie. Des manifestations hémorragiques ou des signes en rapport avec l’anémie peuvent être aussi révélateurs. Un hémogramme demandé de façon systématique peut faire découvrir une neutropénie, une anémie, une thrombopénie et/ou une monocytopénie. Des localisations inhabituelles [24] osseuses [25], cutanées [26] ou des pertes brutales d’audition ont été rapportées [27].
Il montre une pancytopénie, parfois une neutropénie, une monocytopénie, une thrombopénie ou une anémie discrètement macrocytaire. Les automates identifient les tricholeucocytes comme des monocytes, masquant la monocytopénie caractéristique du diagnostic. L’examen du frottis sanguin détecte la présence de tricholeucocytes (hairy cells). Parfois en nombre réduit, les cellules sont de taille moyenne et présentent un cytoplasme étendu, faiblement et irrégulièrement basophile avec de fines projections cytoplasmiques (Fig. 1). La présence de ces projections serait liée à des modifications d’expression de la β actine et du transcrit spécifique leucocytaire 1 (LST-1). Les inclusions cytoplasmiques granulolamellaires avec l’aspect de bâtonnets discrètement basophiles à zone centrale claire sont parfois observées. Le rapport nucléocytoplasmique est bas. Excentré, ovale ou arrondi, le noyau peut être parfois réniforme. La chromatine nucléaire a un aspect finement dispersé et le nucléole peu ou pas visible est de petite taille et souvent unique. La fibrose réticulinique rend l’aspiration médullaire difficile. La biopsie médullaire évalue le degré de l’infiltration tumorale, avec sur coupe, des cellules avec un noyau ovalaire ou réniforme et une zone claire, qui sépare chaque noyau conséquence de la taille des cytoplasmes peu visibles et rétractés. L’identification des tricholeucocytes peut être facilitée par la mise en évidence d’une activité phosphatase acide tartrate résistante (TRAP) de moins en moins recherchée, non spécifique mais néanmoins caractéristique [28] ou par immunohistochimie. La splénectomie est inutile au diagnostic: l’histologie montrerait une infiltration de la pulpe rouge, un effacement de la pulpe blanche et la formation de pseudosinus spléniques avec élargissement des cordons pulpaires.
2.2.2 Cytométrie en Flux (CMF) sur le Sang et/ou la Moelle
Les tricholeucocytes expriment les marqueurs de la lignée B: CD19, CD20 (expression modérée à forte), CD22 (expression forte) et CD200 (expression forte) sans expression du CD5, CD10, CD23 ou du CD27, un marqueur des cellules B mémoires. L’expression du CD11c est forte et celle du CD25 modérée à intense [29]. Les cellules tumorales expriment le CD123 [30,31] et le CD103. L’expression du CD76 (DBA44) [32,33] n’est pas spécifique et peut être observée dans 80% des cas de lymphome splénique de la zone marginale (LSZM). L’annexine A1, exprimée aussi sur les cellules myéloïdes, est un marqueur caractéristique des tricholeucocytes [34]. Un score immunologique a été développé pour faciliter le diagnostic de la LT: il est basé sur l’expression de quatre marqueurs: CD103, CD123, CD25, CD11c. Un point est attribué pour une expression positive et une absence de point pour une expression négative. Le score est de 3 ou 4 dans 98% des cas de LT, contrairement à la LT variante (LT-V) et au LSZM où le score est habituellement de 0 ou 1 [35]. Des phénotypes inhabituels ont été décrits: perte du CD123 [36] notamment en cas d’infection à SARS-Cov-2 associée, expression du CD5 [37] ou du CD10 [38]. De rares cas de LT biclonales ont été rapportés [39,40]. Pour distinguer la HCL de la HCL-V, la médiane d’intensité de fluorescence (MFI) du CD43, CD200 et du CD79b peut être utilisée: elle est plus élevée dans la HCL, mais celle du CD81 est plus basse comparée à celle observée dans la HCL-V [41].
Identifiée en 2011 sur l’exon 15 du gène BRAF (7q34), la mutation BRAFV600E correspond à un remplacement en position 600 de la valine (V) par l’acide glutamique (E). Véritable marqueur moléculaire de la maladie [42], elle a été Initialement décrite chez tous les patients avec une LT et les études ultérieures ont montré son absence dans environ 10% des cas [43–45]. Des mutations alternatives identifiées dans l’exon 11 doivent être recherchées [46], particulièrement chez les patients utilisant le VH4-34 ou chez les patients avec une LT-V. Les patients BRAFWT pourraient avoir un plus mauvais pronostic. La mutation est aussi présente dans les mélanomes (80%), les histiocytoses à cellules de Langerhans et la maladie d’Erdheim Chester (MEC) (50%), les cancers papillaires de la thyroïde (40%), plus rarement les cancers colorectaux, les cancers pulmonaires, les glioblastomes et certaines HM, dont le myélome multiple (MM) et la leucémie lymphoïde chronique (LLC) [47,48]. La mutation active la voie de signalisation MAPK/ERK, permettant la transcription des gènes de la famille ETS, FOS et MYC mais aussi de gènes inhibiteurs, notamment les DUSP (Dual Specificity Phosphatases) [49]. Des mutations autres que les mutations des gènes de la voie MAP-kinases (BRAF, MAP2K1) ont été identifiées: mutations des gènes du cycle cellulaire (CDKN1B dans 10–25%, beaucoup plus rarement TP53), mutations des gènes de la voie NF-kB (KLF2), mutations des gènes du spliceosome (U2AF1) ou des mutations des gènes régulateurs de l’épigénétique (KMT2C, EZH2, ARID1A, ARID1B, CREBP, KDM6A) [50–54]. Le rôle de ces différentes mutations dans la progression de la maladie reste à préciser [55].
2.3 Patients à Risque élevé de Rechute
Des facteurs de mauvais pronostic ont été décrits: splénomégalie > 3 centimètres, leucocytose élevée, présence dans le sang de plus de 5 × 109/L tricholeucocytes, B2 microglobuline élevée (>2 N) [56] et LDH augmentées [57]. Le séquençage des gènes de la partie variable de la chaîne lourde des immunoglobulines (IGHV) montre un profil IGHV muté dans environ 85% des cas avec une utilisation du VH3 dans 66% des cas, du VH4 dans 23% et du VH1, VH2, VH5 ou VH7 dans 3% des cas, le VH6 étant peu utilisé. Le profil non muté (moins de 20% des cas) est associé à une masse tumorale élevée, une absence de mutation BRAFV600E, une survie globale plus courte et une moins bonne réponse au traitement par les analogues des purines (PNA) [58,59]. Les patients utilisant VH4-34 (40% des cas de LT-V et 10% des cas de LT) ont aussi un mauvais pronostic. Une hétérogénéité intraclonale a été observée dans la majorité des cas testés.
L’expression de 57 protéines médullaires après traitement par CDA et par Digital Special Profiling (DSP) a montré chez 9 patients une réduction significative de marqueurs tumoraux B (CD20, CD11c, CD45, BCL2), une augmentation d’expression de marqueurs myéloïdes (CD14, CD68) sans modification des marqueurs T CD3, CD4, CD8 ou NK CD56 et une meilleure réponse au traitement en cas de diminution d’expression du CD20 et du CD44 et en cas d’augmentation d’expression du CD3 et du CD8 (absence de corrélation avec le CD4) [60].
Des recommandations nationales et internationales ont été établies pour harmoniser les pratiques: associées aux algorithmes, elles permettent de guider les décisions thérapeutiques [61–66], en période normale et pendant les périodes de crise sanitaire [67].
2.4.1 En cas de Maladie Symptomatique, le Traitement Doit être Initié
Le traitement est à débuter en cas de splénomégalie, d’anémie inférieure à 10 g/dL, une neutropénie inférieure à 1 G/L, une thrombopénie inférieure à 100 G/L ou des infections sévères et répétées [63].
2.4.2 Critères de Réponse au Traitement
La réponse complète (RC) hématologique (RCH) est définie par la disparition des signes cliniques et une correction des anomalies de l’hémogramme (hémoglobine > 11 g/dL (sans transfusion), plaquettes > 100G/L, neutrophiles > 1, 5 G/L). Chez le sujet jeune, l’objectif du traitement est d’obtenir la RC associant une RCH et l’absence de tricholeucocytes à l’examen de la biopsie ostéomédullaire [63] à réaliser 4 à 6 mois après la fin du traitement par les analogues des purines (PNAs). Il peut être important de préciser notamment chez le sujet jeune si la RC est associée à une maladie résiduelle (MRD) indétectable (MRDu). La MRD peut être étudiée par de nombreuses techniques: immunohistochimie [68,69], PCR allèle spécifique [70], PCR digitale [71,72] ou CMF [73]. Des efforts d’harmonisation sont nécessaires pour permettre la comparaison des résultats entre les différents laboratoires [74]: pour les techniques de biologie moléculaire, la recherche de MRD doit être précédée d’un séquençage IGHV qui n’est pas forcément réalisé en pratique.
2.4.3 Traitement de Première Ligne
Les analogues des purines (PNAs) sont le traitement de référence
-Monothérapie. La supériorité de la désoxycoformycine (DCF) comparée au traitement par interférons-alpha (IFNs) a été démontrée en 1995 dans une étude randomisée chez 356 patients [75]. Cette étude a montré la supériorité des PNAs, considérés comme le traitement de référence de la maladie dans sa phase précoce. Contrairement à la DCF et la 2-chloro-désoxyadénosine (CDA), l’efficacité de la fludarabine n’a pas été mise en évidence [76,77]. Le choix entre la DCF et la CDA dépend de l’existence ou non d’une altération de la fonction rénale, la DCF étant contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale.
La DCF a été introduite en 1987 chez 27 patients à la dose de 5 mg/m2 pendant deux jours consécutifs tous les 14 jours [78] pendant 8 à 10 cycles. Une RC a été obtenue chez 16 patients (59%) en trois mois: elle est durable et persiste pendant une médiane de 228 jours. Une rémission partielle (RP) est obtenue dans 37% des cas. Un échec du traitement est observé chez un seul patient. Des taux de RC de 80% ont été observés dans des séries ultérieures avec un nombre plus élevé de patients [79–81]. Malgré l’obtention d’une RC, les cellules tumorales résiduelles persistent habituellement [81] expliquant la survenue de rechutes dans environ 20% des cas.
La CDA a été introduite trois ans plus tard en 1990 chez deux patients à la dose de 0, 1 mg/kg par jour en perfusion continue pendant sept jours. La RC identifiée chez un patient a persisté plus d’un an [82]. Les RC sont observées de façon très fréquente dans les séries ultérieures avec un recul prolongé [83–92]. En France, le schéma habituel est une dose de 0, 14 mg/kg par jour par voie sous-cutanée pendant cinq jours. Aux États-Unis, la perfusion est continue pendant sept jours ou les schémas discontinus sont utilisés: perfusion de deux heures par jour pendant cinq jours ou de trois heures une fois par semaine pendant six semaines [93]. Malgré des réponses initiales durables, 40% des patients rechutent après un traitement de première ligne. Les patients à nouveau traités en monothérapie deviennent de moins en moins sensibles aux traitements et la durée de la réponse est de plus en plus courte [90,91]. L’intérêt de changer de PNA lors d’une rechute n’a pas été clairement démontré [85,87].
Les PNAs sont myélotoxiques et immunosuppresseurs. Avec la DCF, la réduction du nombre de lymphocytes CD4+ se corrige en deux ans [93]. Chez 349 patients traités par CDA, 71% ont développé une neutropénie sévère de grade 4 et 42% une fièvre avec une infection documentée dans 13% des cas. L’introduction conjointe de filgrastim n’a pas réduit le risque infectieux [94]. Après une diminution initiale des cellules CD8+, l’augmentation est observée trois mois environ après le début du traitement. La normalisation du nombre des cellules CD20 et CD4 est plus tardive (un à deux ans), expliquant un rapport CD4/CD8 inférieur à 1 de façon prolongée [95,96]. La diminution des cellules CD4 correspond à une réduction des cellules naïves CD4+ CD45RA+ [97]. Des infections opportunistes ont été rapportées [98] justifiant une prophylaxie par le triméthoxazole et le valaciclovir à débuter une semaine après le début du traitement et à poursuivre jusqu’à récupération d’un taux de CD4 suffisant. D’autres effets secondaires ont été décrits: hyperéosinophilies régressives une semaine après l’arrêt du traitement [99] et survenue de syndromes myélodysplasiques ou de cancers secondaires [100].
-Association aux anticorps monoclonaux anti-CD20. L’immunochimiothérapie a été introduite en 2006 chez 13 patients, dont 11 patients en première ligne. La CDA, IV en 2 heures à la dose de 5, 6 mg/m2 pendant 5 jours, est associée à du rituximab (R) en consolidation un mois après la fin du PNA à la dose de 375 mg/m2 une fois par semaine pendant 8 semaines [101]. La RC est obtenue dans tous les cas, avec une MRDu par PCR ou CMF dans 92% des cas (12/13 patients). Ces excellents résultats sont confirmés cinq ans plus tard chez 36 patients (31 patients avec une LT, 5 patients avec une LT-V) [102]: la RC est obtenue chez tous les patients. Après un suivi médian de 25 mois, un seul patient avec une LT-V a rechuté. Une MRDu évaluée par CMF est obtenue dans 79% des cas (22/28 patients) et par PCR dans 70% des cas (19/27 patients). L’étude a été étendue chez 80 patients (59 en première ligne, 14 en seconde ligne, 7 patients avec une LT-V) [103]: la RC est obtenue chez tous les patients avec une LT et dans 86% des cas de LT-V. La MRDu évaluée par CMF est obtenue dans 94% des cas (75 patients évaluables): elle devient détectable chez 6 patients dont 2 patients avec une LT-V. Une autre étude randomisée a comparé chez 68 patients en première ligne le schéma CDA-R associant CDA (0, 15 mg/kg IV pendant 5 jours) et R introduit en même temps que la CDA à la dose de 375 mg/m2 toutes les semaines pendant 8 semaines au schéma CDA combinant CDA et R en consolidation débuté 6 mois après la CDA [104]. Cette étude montre une supériorité du schéma CDA-R, avec un taux de RC dans 100% des cas et une MRDu obtenue 6 mois après le début du traitement par CDA dans 97% des cas alors qu’elle est de seulement 24% avec le schéma CDA. Après un suivi médian de 7, 7 ans, un seul patient a reçu du R dans le groupe CDA-R et 21 patients dans le groupe CDA.
-Cas particuliers. Les traitements par IFNs, introduits en 1984 [105], parfois à faible dose de façon prolongée, peuvent être indiqués si les traitements précédents ne peuvent pas être initiés [65]. L’accès à ces produits devient de plus en plus difficile, compte tenu de l’arrêt de leur production. Ils peuvent être, dans une version pégylée, une solution alternative chez la femme enceinte ou chez les patients avec une neutropénie sévère fébrile. Le traitement par vemurafénib en monothérapie peut-être recommandé chez les patients avec une infection non contrôlée avant l’utilisation des PNAs [106] ou en cas d’infection à SARS Cov2 [67]. La splénectomie reste indiquée chez les patients dont le diagnostic est incertain ou chez les patients avec une LT réfractaire.
Patients avec une HCL en rechute/réfractaire (R/R)
Il est nécessaire d’inclure, si possible, le patient dans un essai clinique.
-Inhibiteurs de BRAF (BRAFi)
Monothérapie. Le vemurafénib est transitoirement efficace en monothérapie. 54 patients (28 patients dans la série italienne, 26 patients dans la série américaine) antérieurement traités (médiane de ligne de traitements: 3 ou réfractaires aux PNAs dans la moitié des cas), ont été traités à la dose de 960 mg deux fois par jour [107] pendant une durée limitée de 16 et 18 semaines. Une réponse a été obtenue dans respectivement 96% et 100% des cas, dont 35% et 42% de RC. L’efficacité du traitement est de courte durée, la survie sans rechute étant de 9 mois: 19 mois en cas de RC et 6 mois en cas de RP. La survie sans traitement est de 21, 5 mois: elle est identique chez les patients en RC (25 mois) ou en RP (18 mois). Des doses plus faibles de vemurafénib (240 mg deux fois par jour) ont été utilisées chez 17 patients: la RC est obtenue dans 40% des cas. En cas de rechute, un nouveau traitement par BRAFi demeure efficace, permettant d’envisager des stratégies de stop and go [108,109]. Les effets indésirables sont marqués par une toxicité cutanée (éruption, hyperkératose palmoplantaire, photosensibilité et kérato-canthomes), oculaire (rétinopathie grave centrale et occlusion veineuse rétinienne), cardiaque (allongement de l’intervalle QTc) ou hépatique (élévation des aminotransférases et de la bilirubine).
Un autre BRAFi, le dabrafénib, a été utilisé chez 10 patients à la dose de 150 mg deux fois par jour pendant une période limitée de 8 à 12 semaines. Les patients ont reçu une médiane de traitement antérieur de 3, 5. Une RC est observée chez 3 patients avec une MRD détectable dans tous les cas, une RP chez 5 patients et un effet clinique bénéfique chez les deux derniers patients avec une réponse mineure (RM) (régression de la splénomégalie chez un des patients [110].
Les BRAFi sont non myélotoxiques et non immunosuppresseurs: ils peuvent être proposés en cas de neutropénie fébrile [106,111,112] ou en cas de risque élevé d’infection à SARS-Cov2 [67]. Des maladies hématologiques préexistantes sont susceptibles de progresser lors de l’utilisation de ces médicaments: progression par un mécanisme Ras dépendant: leucémie myélomonocytaire chronique (mutation NRAS G12R) [113], lymphocytose B monoclonale (mutation KRASG12D) [114], érythroleucémie (mutation PI3KE54K connue pour activer RAS) [108] ou non: LLC en absence de mutations RAS [115].
Association aux anti-CD20. L’association vemurafenib (960 mg deux fois par jour pendant 2 cycles de 4 semaines) plus R (8 injections au total ; J1 et J15 du cycle 1 et 2 plus 4 doses de R de consolidation tous les 15 jours) a été proposée chez 31 patients en R/R. Le taux de RC obtenu à la fin du traitement est l’objectif principal de l’étude: il est de 87% (26/30 pts), un taux deux fois plus élevé que celui obtenu avec le vemurafenib en monothérapie [116]. La RC est associée à une MRDu sanguine et médullaire dans 60% des cas (18/30 pts). Elle est durable avec une survie sans rechute (RFS) à 34 mois de 85% (13–50), comparée à 4 mois en cas d’utilisation du vemurafenib en monothérapie. La RFS n’est pas modifiée par une préalable exposition au R mais elle est plus courte en cas d’exposition antérieure aux BRAFi (57% chez les 7 pts avec RC exposés aux BRAFi vs. 95% chez les autres) et de MRD détectable (56% chez les pts avec une MRD détectable vs. 100% en cas de MRDu). L’association a été aussi utilisée avec une bonne tolérance chez les patients traités antérieurement par le Moxetumomab pasudotox [117].
Association aux inhibiteurs de MEK (MEKi). L’association du dabrafénib (150 mg deux fois par jour) à un inhibiteur de MEK (MEKi), le tramétinib (2 mg une fois par jour) est en cours d’évaluation chez les patients en R/R [118].
-Moxetumomab pasudotox (Moxe). C’est une immunotoxine constituée du domaine variable de l’immunoglobuline murine anti-CD22 fusionné à une forme tronquée de PE38, une exotoxine de Pseudomonas. Le CD22, fortement exprimé à la surface des tricholeucocytes, intervient dans la survie, la prolifération, l’activation et la signalisation des lymphocytes B. Après liaison au domaine extracellulaire du CD22, le Moxe est internalisé permettant la libération de l’exotoxine PE38 à l’intérieur de la cellule. Ce processus inhibe la synthèse protéique cellulaire et provoque la mort de la cellule. Le Moxe a été autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) en septembre 2018 chez les patients en R/R après au moins deux lignes de traitement incluant une ligne de PNA. L’autorisation donnée se base sur une étude de phase 1 [119] et sur l’essai pivotal à un bras multicentrique [120,121]. L’objectif principal de cette dernière étude est l’obtention d’une RC prolongée se maintenant pendant 180 jours et évaluée par un comité indépendant. Quatre-vingt patients, avec un âge médian de 60 ans (34–84) ont été inclus avec un suivi médian de 24, 6 mois. Le nombre médian de lignes de traitement antérieurement reçu est de 3 (2–11) ; 60 patients (75%) ont reçu du R et 14 (17.5%) un BRAFi. Le Moxe a été donné à la dose de 40 mg/kg par voie IV en 30 min les jours 1, 3 et 5 de chaque cycle de 28 jours. La durée du traitement est de 6 cycles au maximum. 33 patients (41%) présentent une RC et 29 patients (36%) une RC durable de plus de 180 jours. Une MRDu est obtenue chez 27/33 patients avec RC. Parmi les 29 (90%) patients avec RC durable, 26 ont une MRDu. Les effets indésirables de grade 3 ou 4 sont les infections chez 13 patients (16%, 3%) dont une infection liée au traitement chez deux patients (2%, 5%), un syndrome de fuite capillaire chez 2 patients (2%, 5%) et un syndrome hémolytique et urémique chez 4 patients (5%). Les deux dernières complications ont été dans tous les cas réversibles à l’arrêt du traitement. Trois patients ont reçu un second traitement par Moxe après rechute d’un traitement antérieur par Moxe: chez deux patients les cytopénies se sont corrigées [122]. Le Moxe est devenu inaccessible en Europe compte tenu de l’arrêt de production par le laboratoire de ce médicament.
-Inhibiteurs de BTK (BTKi). Trente-sept patients, 28 patients avec une HCL et 9 patients avec une HCL-V, ont reçu un traitement par ibrutinib à la dose de 420 mg/jour (24 pts) ou 840 mg/jour (13 patients) jusqu’à progression ou toxicité inacceptable [123]. Le nombre de traitement reçu antérieurement est de 4. L’objectif principal de l’étude est l’ORR à 32 semaines. Il est de 24% (1 pt avec RC, 8 pts avec PR) et augmente à 36% à 48 semaines. Le meilleur taux d’ORR obtenu est de 54%, dont 7 RC (19%) (3 MRDu) et 13 RP (35%). L’efficacité du traitement est prolongée, la médiane de survie sans progression (PFS) étant non atteinte et estimée à 36 mois à 73%. La médiane d’OS est de 69 mois, avec une OS estimée à 36 mois de 85%. Les effets indésirables observés sont identiques à ceux observés dans la LLC. La fibrillation atriale est observée chez 6 patients (16%), toujours de grade 1 ou 2, le flutter atrial chez 2 patients (5%), de grade 1 ou 2 dans un cas et de grade > ou égal à 3 chez l’autre patient. Une baisse des plaquettes est observée chez 15 patients (41%), de grade 1 ou 2 chez 7 patients (19%) ou >ou égal à 3 chez 8 patients (22%). Il n’existe pas de différence entre la LT. et la LT-V en terme d’ORR, de PFS ou d’OS. Le mécanisme d’action de l’ibrutinib pourrait être différent de celui observé dans la LLC: 1) Il n’existe pas d’augmentation dans le sang du nombre de cellules leucémiques tumorales, 2) chez 4 patients avec progression (LT: 2 pts, HCL-V: 2 pts) aucune mutation de BTK ou de PLCγ2 n’a pu être identifiée, 3) enfin, l’ibrutinib maintient son efficacité en cas de phosphorylation d’ERK.
-Inhibiteurs de Bcl2 (Bcl-2i). Le venetoclax est un inhibiteur sélectif de BCL-2, qui restaure l’apoptose dans les cellules cancéreuses. Le traitement par venetoclax est autorisé dans la LLC et la LAM (AML) chez les patients adultes inéligibles à un traitement intensif. Il pourrait être aussi efficace dans la LT et la LT-V. Des données récentes montrent que des concentrations de venetoclax (0.1 et 1 μM) pourraient induire in vitro l’apoptose des cellules primaires. Une diminution de la cytotoxicité des cellules HCL exposées pendant 48 heures à différents stimuli (activated T lymphocytes, stromal cells, TLR-9 agonist CpG, TLR-2 agonist PAM3) a été aussi montrée, laissant suggérer que le venetoclax associé à des cibles du microenvironnement pourrait aussi améliorer son efficacité [124]. L’intérêt du venetoclax chez les patients avec une LT en R/R reste à évaluer et l’association venetoclax plus ibrutinib, utilisée dans la LLC pourrait être utile chez certains patients avec une LT [40].
En première ligne, les PNAs associés au R sont challengés par la combinaison vemurafenib (960 mg deux fois par jour pendant 4 mois) plus obinutuzumab (1000 mg J1, J8 et J15 du cycle 2 et 1000 mg à J1 des cycles 3 et 4). Dans une phase II, l’association vemurafenib plus obinutuzumab a été évaluée chez 30 patients en première ligne. La RC à la fin du traitement est obtenue chez tous les 27 patients évaluables et une MRDu est observée dans 92% des cas (24/26 patients). Après un suivi médian de 19, 7 mois (2, 1–42), aucune rechute n’est observée [125]. Un essai est actuellement en cours comparant le schéma CDA-R au traitement vemurafebnib obinutuzumab.
Chez les patients en R/R, le R pourrait amplifier l’efficacité des PNAs, des BRAFi et du Moxe. Un essai de phase I associant le Moxe avec le R est en cours chez des patients ayant reçu deux lignes de traitement antérieur ou une rechute précoce inférieure à 2 ans. L’association ibrutinib et venetoclax a montré une efficacité dans la LLC et pourrait être utilisée dans la LT. L’association vemurafenib plus Moxe pourrait être aussi une combinaison d’intérêt. La possibilité d’utiliser des anticorps monoclonaux dirigés contre le CD38 [126] ou le CD123 [31] reste aussi à investiguer.
Le risque de cancers secondaires est augmenté chez les patients avec une LT. Le mécanisme reste débattu en lien avec la maladie elle-même ou être secondaire aux traitements utilisés [127,128]. Le risque de tumeurs hématopoïétiques est multiplié par 40 [129]. Chez 487 patients, il a été observé une histoire familiale de cancers dans 18% des cas et un SIR (ratio standardisé d’incidence) de 1, 86 (intervalle de confiance [IC] 95%: 1, 34–2, 51) pour les cancers secondaires et de 5, 32 (IC 95%: 2, 90–8, 92) pour les hémopathies secondaires. Ce risque impose une surveillance hématologique prolongée chez tous les patients.
3 Autres Proliférations à Cellules Chevelues
Il est important de distinguer les autres proliférations à cellules chevelues car leur traitement est différent. Aucune de ces entités ne présente de mutation BRAFV600E. Les principales différences entre la LT et les autres proliférations à cellules chevelues sont présentées dans le Tableau 1.
3.1 Lymphome Splénique Diffus de la Pulpe Rouge
Le lymphome splénique diffus de la pulpe rouge (LSDPR) (Splenic Diffuse Red Pulp Lymphoma) représente au sein des lymphomes spléniques non classables une entité provisoire. Décrit en 2008 chez 37 patients [130–133], les séries publiées sont limitées [134,135]. L’âge médian des patients est de 77 ans (46-91) et la prédominance masculine est moins marquée que celle observée dans la LT, le ratio hommes/femmes étant de 1, 64 : 1. La splénomégalie est présente dans 81% des cas, alors que la présence d’adénopathies est notée dans seulement 11% des cas. Un composant monoclonal est parfois identifié (6/37). L’aspect du frottis sanguin est monomorphe. Les cellules lymphoïdes anormales sont fréquentes et atteignent 60% de la lymphocytose (26%–91%) ; elles sont de taille petite à moyenne avec des villosités à distribution polaire et la présence d’un nucléole à peine visible ou invisible. La présence d’un nucléole proéminent est rarement notée, identifiée chez seulement 4 patients en progression/transformation de la maladie. A noter aussi la présence fréquente de cellules lymphoplasmocytaires. Les cellules sont B CD19 positives et expriment fortement le CD22 et le CD11c (97%), de façon plus inconstante le CD103 (38%), le CD123 (16%) et le CD25 (3%). Le profil IGHV est dans la plupart des cas muté (79%), avec un usage préférentiel d’IGHV3 (12/33) et IGHV4 (13/33) et de VH4-34 chez 5 patients et de VH3-23 chez 6 patients. La même série étendue à 48 patients a montré une utilisation d’IGHV3 chez 20 patients et d’IGHV4 chez 17 patients avec une utilisation de VH4-34 et VH3-23 chez 10 et 9 patients, respectivement. La mutation BRAFV600E n’est jamais détectée, sauf dans un cas où une mutation BRAF-K601Q est identifiée [135]. Les mutations TP53 sont absentes ou rarement présentes. Des mutations de BCOR, CCND3 et MAP2K1 ont été décrites dans 24%, 21% et 7% des cas [135–137]. Compte tenu du nombre de séries limitées, il n’existe pas de données de survie et les indications de traitement ne sont pas clairement établies. Une évolution en leucémie à prolymphocytes B (PLL-B) a été rapportée [138].
3.2 Forme Variante de la Leucémie à Tricholeucocytes
Décrite par John Cawley en 1980, [139] la forme variante de la LT (LT-V) est reconnue comme une entité provisoire depuis 2008: elle est comme le SDRPL classée parmi les lymphomes spléniques B inclassables. Elle est rare et le nombre de nouveaux cas incidents estimés aux Etats-Unis est de 810 [6]. Le pronostic de la LT-V est plus réservé que celui de la LT: la médiane de survie étant de neuf ans, avec 15% des patients survivant à plus de 17 ans [140]. L’âge médian des patients au diagnostic est de 71 ans, un âge de 10 ans plus élevé que celui observé dans la LT. La prédominance masculine est moins marquée que dans la LT et le rapport hommes/femmes est de 1.5 : 2. [140–143] Chez 52 patients, la splénomégalie souvent volumineuse est présente dans 85% des cas, alors que l’hépatomégalie et les adénopathies superficielles sont observées dans 19% et 15% des cas, respectivement [140]. L’anémie et la thrombopénie sont notées dans 29 et 43% des cas et la leucocytose est souvent augmentée, 10% des patients présentant un chiffre normal de leucocytes. Contrairement à la LT, il n’existe pas de monocytopénie, ni de neutropénie. L’aspect du frottis sanguin est monomorphe, avec des cellules de taille intermédiaire à grande, un noyau régulier avec un nucléole unique et proéminent (Fig. 2), une chromatine relativement condensée et un cytoplasme plus ou moins abondant avec des projections.
La moelle est facile à aspirer. Une infiltration interstitielle médullaire est présente dans 75% des cas: elle est mixte, interstitielle et nodulaire dans 10% des cas. L’histologie splénique est identique à celle de la LT: il existe une hypertrophie de la pulpe rouge, avec une pulpe blanche réduite ou même absente. La présence de cellules anormales dans les sinusoïdes est souvent observée. Les cellules expriment fortement les immunoglobulines de surface (plus souvent IgG et lambda), CD11c de façon forte, habituellement CD103 (deux tiers des cas) mais n’expriment ni le CD123, ni le CD25. La moyenne de fluorescence (MFI) des marqueurs CD43, CD81 et CD200 peut être une aide à l’identification de la LT-V, la moyenne d’expression du CD81 étant plus élevée que celle observée dans la LT mais celle du CD43 et du CD200 étant moindre [41]. Le profil IGHV dans la LT-V est muté dans un tiers des cas (85% dans la LT, 80% dans le SDRPL), avec une utilisation préférentielle du VH4-34 [144–146]. Les mutations TP53, rares dans la LT et le SDRPL, sont fréquentes dans la LT-V [141]. La mutation de BRAFV600E est absente dans la LT-V, contrairement à la mutation du gène MAP2K1 (MEK1) identifiée dans plus d’un tiers des cas [52]. Des mutations de KMT2C (MLL3), de CCND3 A et de U2AF1 ont été aussi retrouvées [146]. Une évolution clonale a été observée chez un patient avec une LLC stade A au diagnostic évoluant en stade B et présentant un caryotype complexe. Ce patient, traité par bendamustine plus R présente deux plus tard une LT-V sans mutation de MAP2K1 mais avec des mutations de TP53. Le diagnostic de lymphome composite est retenu: profil non muté de la LLC (IGHV1-3*01) et non muté de la LT-V (IGHV4-34*01). Les deux clones sont identifiés au diagnostic, le clone LLC étant prédominant. Après traitement, le clone de la LT-V est devenu majoritaire avec une disparition presque complète du clone LLC. La mutation TP53 est présente au diagnostic de la LLC et au moment de l’apparition de la LT-V [147]. La prise en charge de la LT-V n’est pas standardisée. Les agents alkylants, les IFNs-α et la CDA en monothérapie sont inefficaces [148]. La splénectomie a une efficacité transitoire. Des traitements par rituximab, obinutuzumab [149] ou bendamustine plus R [150] ont été efficaces chez certains patients. L’association CDA plus R reste l’option de première ligne [151]. Une étude récente de phase II chez 20 patients, dont 8 non antérieurement traités, a montré que l’association CDA plus R permettait une RC à 4 semaines dans 70% des cas (14 patients) et une MRDu dans 45% (9 patients). Six mois après le traitement par CDA-R, la RC se maintient dans 90% des cas (18/20 patients), dont 80% (16 patients) avec une MRDu évaluée par IHC et CMF sur la moelle. La PFS à 5 ans est de 63%, 3% et l’OS à 5 ans de 73%, 9%. Les patients avec des mutations de TP53 (26% des cas: 5/19) ont une probabilité plus élevée d’avoir une MRD détectable à 6 mois et présentent une PFS plus courte (36, 4 mois versus PFS non atteinte). Dans les formes en rechute ou réfractaires, les immunotoxines et l’ibrutinib [152–154] peuvent être discutés dans les lignes ultérieures de traitement. Une réponse a été rapportée chez un patient traité par l’association ibrutinib plus venetoclax [40].
3.3 Lymphome Splénique de la Zone Marginale Avec Cellules Villeuses Circulantes
Le LSZM est une entité à part entière. Il existe dans les formes spléniques des lymphomes de la zone marginale (SMZL) des formes avec cellules circulantes, souvent en faible nombre (<20%) avec des villosités courtes et associées à un composant lymphoplasmocytaire [155]. La splénectomie, si elle était réalisée, montrerait une expansion de la pulpe blanche et une infiltration de la pulpe rouge. Les cellules B monotypiques ont un score RMH (score Matutes) < 3 le plus souvent à 0 et expriment CD180 et CD200. Il existe des phénotypes inhabituels, avec expression du CD5, CD23, CD11c, CD25 et CD103 rendant le diagnostic plus complexe. Le profil IGHV est muté, avec une utilisation préférentielle du VH1-2 et en particulier de l’allèle VH1-02*04 dans 30% des cas mais sans impact sur le pronostic, de l’IGHV3-23 dans 8% des cas et du VH4-34 dans 13% des cas. Les anomalies cytogénétiques les plus fréquentes sont la délétion 7q, la trisomie complète ou partielle du chromosome 3 ou 12 et/ou des anomalies touchant les chromosomes 8, 9p34, 12q23-24, 18q et 17p. Parmi les mutations observées, les mutations NOTCH2 dans 10–25% des cas, KLF2 dans 20 à 30% ou TP53 dans 10%–15% ainsi que des mutations dans la voie NFkB soit dans la voie canonique (MYD88, CD79/A/B, CARD11, IKBKB) ou non canonique (TRAF3, BIRC3). La survie du LSZM est bonne ; le traitement est à initier en cas de maladie symptomatique et repose sur l’immunochimiothérapie.
La connaissance de la LT s’est améliorée avec l’identification de la mutation BRAFV600E comme marqueur moléculaire de la maladie. Néanmoins, le tricholeucocyte reste une cellule bien mystérieuse. Le traitement de première ligne fait appel, en cas de maladie symptomatique, aux PNAs. En cas de rechute ou de maladie réfractaire, notamment dans les LT utilisant IGHV4–34, le traitement, à discuter avec les spécialistes en réunion de concertation pluridisciplinaire, fait appel à un inhibiteur de BRAF associé ou non aux inhibiteurs de MEK, aux immunotoxines ou aux inhibiteurs de BTK. Les progrès accomplis sont assez importants pour que nous soyons en droit d’envisager la guérison. Il est aussi nécessaire de distinguer la LT des autres proliférations à cellules chevelues, qui ont par ailleurs un pronostic et un traitement différents.
Les proliférations à cellules chevelues regroupent des entités hétérogènes: il est essentiel de distinguer la leucémie à tricholeucocytes des autres proliférations, notamment de la forme variante de la leucémie à tricholeucocytes et du lymphome splénique de la pulpe rouge de la rate. La prise en charge de ces patients est différente.
Le diagnostic de la leucémie à tricholeucocytes repose sur l’hémogramme et l’examen du frottis sanguin associé à un examen médullaire par aspiration et/ou biopsie médullaire, permettant d’identifier les tricholeucocytes. L’analyse par cytométrie en flux (CMF) identifie ces cellules comme des cellules exprimant de façon très caractéristique les molécules CD11c, CD25, CD103 et CD123. La recherche de la mutation BRAFV600E est essentielle: elle constitue un véritable marqueur moléculaire de la maladie. Le traitement de première ligne repose sur les analogues des purines utilisés en monothérapie et de plus en plus fréquemment en association avec les anticorps monoclonaux anti-CD20. L’immunochimiothérapie est de plus en plus utilisée dès la première ligne. Les nouvelles drogues, le moxetumomab pasudotox, les inhibiteurs de BRAF ou de BTK sont utiles chez les patients avec une maladie en rechute/réfractaire. Une surveillance hématologique est nécessaire, compte tenu du risque augmenté de cancers secondaires.
La forme variante de la leucémie à tricholeucocytes est rare: les cellules habituellement n’expriment pas les molécules CD123 et CD25. La mutation BRAFV600E est absente mais une mutation MAP2K1 (MEK1) serait observée dans plus d’un tiers des cas. Le lymphome splénique diffus de la pulpe rouge reste une entité encore mal identifiée et proche de la forma variante de la leucémie à tricholeucocytes: des mutations de BCOR, CCND3 et MAPK1 ont été observées.
Acknowledgement: Les auteurs remercient la Tumorothèque de Basse Normandie (TCBN) pour la contribution à la collection du matériel.
Author Contributions: XT and EM ont contribué à la conception de l’article. Préparation du matériel, collection des données, analyses des données. La première version de l’article a été réalisée par XT. XT et EM ont réalisé la version définitive et approuvé le document final.
Ethics Approval and Informed Consent Statement: Not applicable.
Funding Statement: Absence de financement.
Conflicts of Interest: Xavier Troussard. Consultant pour Innate Pharma, Astra Zeneca, Abbvie. EM. Absence de conflit d’intérêt.
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